Le litige concernant la statue de Jean-Paul II à Ploërmel, une petite ville du Morbihan en Bretagne, dure depuis onze ans. Le Conseil d’État a ordonné de retirer la croix surplombant l’arche au dessus de la statue. Du point de vue formel le verdict du Conseil d’État est définitif et sans appel. Cette décision a suscité une vive opposition. Elle est critiquée non seulement par les catholiques mais aussi par les représentants d’autres confessions. Où est donc le problème?
Jean-Paul II et la France
Il faut rappeler que la statue, don du sculpteur russe Zourab Tsereteli, a été installée en automne 2006 sur une place publique. La Fédération de la Libre Pensée et deux personnes de cette commune de 10 000 habitants ont fait une protestation formelle. Il y a deux ans le Tribunal Administratif de Rennes a ordonné d’enlever toute la statue. La Cour Administrative d’Appel de Nantes a annulé cette décision. Le Conseil d’État justifie sa décision par la loi de 1905 qui interdit d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur un emplacement public.
Ce n’est donc pas le personnage de saint Jean-Paul II qui pose problème – il était non seulement pape mais aussi homme d’état et philosophe, apprécié aussi par des gens d’autres convictions. Le Saint-Père estimait la nation française, il avait souvent recours à l’héritage de nombreux saints, philosophes et écrivains français. Ses sept visites en France prouvent que le bien de l’Église de France et du pays lui tenait vraiment à cœur. Les Français l’ont remarqué et ont fait preuve de leur estime, plusieurs noms de rue, de places et des statues portant le nom du Pape en témoignent.
Incompréhension ou hostilité
La séparation des Églises et de l’État n’est pas un problème non plus car les catholiques la reconnaissent. Mais elle ne peut pas signifier une séparation radicale qui consiste à chasser la foi chrétienne avec ses emblèmes de la vie publique. Le refus de se référer aux valeurs chrétiennes dans le Préambule de la Constitution Européenne en est une manifestation. Qu’est ce qui pose donc problème?
Le litige au sujet de la croix sur la statue de Ploërmel montre que le problème vient de la perception idéologique du caractère laïque de l’État qui tend à bannir la religion, plus particulièrement la religion chrétienne de la sphère publique. La laïcité de l’État se transforme ainsi en « laïcisme » hostile à la religion, et qui devient source de conflits et de confrontations, au lieu d’être un espace de dialogue dans une société de plus en plus pluriculturelle et pluriconfessionnelle.
Dimension publique de la foi
Dans une démocratie tout le monde doit se soumettre à la loi. Mais la loi doit s’appuyer sur la vérité et la justice et elle doit servir le bien commun des citoyens. On ne peut pas effacer la contribution chrétienne dans l’histoire et la culture de l’Europe, dont la France. Cette contribution se manifestait par la profession publique de la foi, par la vie conforme aux exigences de la foi, par la participation active des catholiques dans tous les domaines de la vie, et notamment dans l’enseignement, la gestion des hôpitaux, l’aide aux plus démunis, etc. Il ne faut pas oublier que cette contribution se trouve aussi à la base de la formation des États européens, des nations, de l’éthique et du droit.
Dans ce contexte, je considère la décision de retirer la croix de la statue est excessivement légaliste, absurde du point de vue du canon de l’art et injuste pour la communauté catholique locale. Je pense que l’on a perdu l’occasion de souligner la contribution de catholiques dans le bien commun et de démontrer le côté positif de la présence de la religion dans la vie sociale.
La lettre et l’esprit de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat
Quelques mois avant sa mort, Jean-Paul II a adressé une lettre aux évêques français, à l’occasion du 100e anniversaire de la promulgation en 1905 de la loi de séparation entre l’Église et l’État. Dans cette lettre, il a souligné que c’était « un évènement traumatisant» pour l’Église de France. Mais pendant les décennies on a cherché un accord et une reconnaissance du rôle social de la religion. Dans la perspective d’un dialogue utile, le Pape a rappelé la perception par l’Église de la religion et de l’État. On peut dire qu’il a indiqué comment appréhender l’esprit d’une loi de séparation de l’ordre religieux et laïque.
Reconnaître la dimension religieuse des personnes et des composantes de la société française – écrivait le pape – c’est vouloir associer cette dimension aux autres dimensions de la vie nationale, pour qu’elle apporte son dynamisme propre à l’édification sociale (…) La société doit pouvoir admettre que des personnes, dans le respect d’autrui et des lois de la République, puissent faire état de leur appartenance religieuse. Dans le cas contraire, on court toujours le risque d’un repliement identitaire et sectaire, et de la montée de l’intolérance(…)
Cet extrait souligne le fait que la dimension religieuse pénètre la vie sociale. On ne peut pas l’exclure ni découper de manière « chirurgicale », ni limiter ou censurer, en s’appuyant sur la loi, toute trace de sa présence. Ce genre d’agissements nuit aux croyants et au caractère laïque de l’État.
Perception appropriée de la laïcité
Dans la lettre citée, Jean-Paul II a appelé les catholiques français à êtres des acteurs de la vie sociale :
Que tous vos compatriotes sachent que les membres de la communauté catholique en France souhaitent vivre leur foi au milieu de leurs frères et sœurs, et mettre à la disposition de tous, leurs compétences et leurs talents ! La démarche religieuse, vécue dans le respect de la saine laïcité, elle ne peut qu’être source de dynamisme et de promotion de l’homme. J’encourage les catholiques français à être présents dans tous les domaines de la société civile, dans les quartiers des grandes villes comme dans la société rurale, dans le monde de l’économie, de la culture, des arts, comme de la politique, dans les œuvres caritatives comme dans le système éducatif, sanitaire et social, avec le souci d’un dialogue serein et respectueux avec tous.
Le pape n’a pas appelé à une croisade contre l’État laïque mais il a démontré le besoin du respect réciproque, en montrant l’espace de dialogue et de coopération.
On verra comment le conflit de la statue de Ploërmel sera réglé. Ce qui est sûr c’est que l’on ne peut pas régler ce genre de conflits en s’appuyant uniquement sur la lettre de la loi de séparation des Églises et de l’État. Cette loi a besoin d’être perçue de manière plus large, dans un esprit de dialogue et de compréhension du fait religieux. Le laïcisme qui, sous prétexte de mettre de l’ordre dans la sphère publique en excluant les religions, ne contribue pas à une paix sociale. Ce laïcisme mène dans une voie sans issue et engendre des conflits sociaux. Et j’ajouterais qu’il ne protège pas les citoyens du danger des fondamentalistes islamiques pour qui la religion est étroitement liée avec la politique.
Cependant, la laïcité comprise comme l’autonomie des Églises et de l’État et non pas comme une séparation hostile, peut créer un espace de coexistence des personnes de différentes convictions et religions. Il est important pour la France et pour l’Europe de ne pas renier ses origines chrétiennes. En définitive, il s’agit de bien comprendre notre identité.
Jean-Paul II lors de la visite au Parlement Européen à Strasbourg, le 11 octobre 1988 disait :
Toutes les familles de pensée de notre vieux continent devraient réfléchir à quelles sombres perspectives pourrait conduire l’exclusion de Dieu de la vie publique, de Dieu comme ultime instance de l’éthique et garantie suprême contre tous les abus du pouvoir de l’homme sur l’homme.
Père Andrzej Dobrzyński