Jr 20, 7-9 ; Rm 12, 1-2 ; Mt 16, 21-27
« Mon fils ; si tu veux servir le Seigneur, prépare-toi à l’épreuve ! Garde un cœur droit et sois résolu, ne te décourage pas quand viennent les difficultés. » Ces conseils du livre de Siracide (Siracide 2,1) résument bien les textes qui nous sont proposés en ce dimanche. Que veut dire se donner soi-même ? En les lisant, on est aussitôt frappé par leur accent dramatique. Tous les trois, en effet, présentent des situations fortement tragiques, auxquelles sont confrontés les envoyés de Dieu.
Dans la première lecture, le prophète Jérémie décrit le bouleversement déchirant que l’exercice de sa mission prophétique a produit dans sa vie. Dans la deuxième lecture Saint Paul n’hésite pas à déclarer aux Romains que la vie chrétienne doit être considérée comme une offrande, un sacrifice quotidien. Dans l’Evangile, le Christ lui-même fait une remontrance particulièrement sévère à saint Pierre, qui voulait l’empêcher de marcher vers la croix.
Jérémie, homme d’une grande sensibilité, un peu timide, profondément attaché à sa patrie et à sa famille, se considère lui-même comme un prophète de malheur, contraint par sa vocation d’entrer constamment en conflit avec les puissants et d’annoncer la ruine de ceux qu’il aime. Il n’avait pas imaginé que c’était à cela qu’allait le conduire le choix de Dieu. Conscient de son caractère plutôt tendre et du déchirement auquel le soumet sa mission, il vit un douloureux débat intérieur qui l’amène à reprocher à Dieu de l’avoir choisi. Cependant, il reconnait que Dieu a été plus fort : il l’a vaincu par l’amour, l’a séduit par une force irrésistible : « tu m’as séduit, dit-il, et je me suis laissé séduire. »
Par sa vie et son message, Jérémie préfigure le Christ qui, volontairement, comme nous le rappelle l’Evangile de ce dimanche, choisit de marcher vers la croix. Il avait à peine trente ans et sa mission paraissait vouée à l’échec. C’est pourquoi, après une annonce aussi étrange, saint Pierre, dans un geste de grande compassion, l’emmène à l’écart et lui fait de vifs reproches : « que Dieu t’en préserve, cela ne t’arrivera pas. » Pierre en effet, n’a pas compris qu’en réalité il n’y a pas de salut qui ne passe par la croix, qu’il n’y a pas d’autre voie pour le sauveur que de donner sa vie pour les autres. Il n’a pas compris que le disciple doit être derrière le Maître pour suivre ses pas, et non devant lui pour lui donner des conseils. Il n’a pas compris non plus que celui qui s’engage à la suite du Christ doit accepter sa croix quotidienne avec courage et foi. Il n’a pas compris aussi que dans la logique un peu paradoxale de Dieu, perdre sa vie c’est en réalité la sauver. Voilà accepter de devenir « chrétien, disciple du Christ » !
Enfin, et nous chrétiens d’aujourd’hui, quelle est notre attitude devant ces déclarations de Jésus ? Dans un monde en recherche continuelle de facilités et de commodités, un discours sur le sacrifice et le don de soi n’a pas grand succès, ne suscite pas d’enthousiasme. Il semble même contradictoire. Nous savons en effet, que selon la logique du monde, tout ce qui ne se fait pas pour son propre intérêt est considéré comme un gaspillage. Selon l’Evangile au contraire, pour réussir sa vie, il faut la donner, la mettre au service des autres, parfois même jusqu’au don total de soi. C’est cela que Jésus appelle « renoncer à soi-même » et c’est à cela que Saint Paul nous invite dans la deuxième lecture en nous demandant d’offrir notre vie comme un sacrifice d’agréable odeur à Dieu. C’est cela le risque d’être chrétien, un risque devant lequel nous sommes presque toujours hésitants.
Que le Seigneur nous aide à nous libérer un peu plus de nous-mêmes pour le suivre avec plus de courage.
Père Jean Claude Ciza
Fot. Jon Tyson/Unsplash.com